En vérité, Jack n’est autre que le Juif ‘Haïm-Yankel
Le Rav Chalom Ber Lipskar de l’institut Alef (en Floride) raconte : « l’épisode eut lieu pendant un périple au cours duquel mon compagnon et moi-même avions rendu visite à des Juifs détenus, dans différentes maisons d’arrêt en Floride, afin de leur apporter du soutien moral et de les sensibiliser à la Torah et aux Mitsvot, selon un souhait exprimé par le Rabbi Chlita Méle’h HaMachia’h. Ce soir là, épuisés et harassés après une éprouvante journée, nous nous retrouvâmes à errer en voiture dans une localité du nom de Jacksonville que nous ne connaissions pas. Nous nous mîmes en quête d’une station-service ainsi que d’un motel pour passer la nuit.
Après une laborieuse recherche, nous trouvâmes une station-service et y pénétrâmes. Derrière le comptoir se trouvait un homme bâti en armoire à glace à l’allure peu rassurante qui en apercevant deux Juifs revêtus de caftans noirs, disparut durant quelques instants et revint en nous faisant signe de le suivre dans l’arrière-boutique.
J’ignore d’où le courage nous vint de ne pas prendre nos jambes à notre cou devant cette inquiétante masse de muscles, mais le fait est qu’un instinct nous incita à le suivre. En pénétrant dans une pièce au fond d’un couloir, nous découvrîmes un vieil homme assis derrière un bureau, et dont le visage abondamment ridé témoignait que la vie lui avait valu quelques tourments.
Nous nous interrogions encore sur la raison qui nous avait fait aboutir ici à Jacksonville au milieu de la nuit lorsque le vieil homme se pencha vers nous et nous demanda en yiddish : « Qui êtes-vous ? ». Nous lui répondîmes alors dans la même langue : « Nous sommes des envoyés du Rabbi de Loubavitch. » En entendant notre réponse, il éclata en larmes et il se passa une bonne demi-heure avant qu’il puisse finalement vaincre les spasmes qui l’agitaient.
Lorsqu’il parvint à rependre le contrôle de lui-même, il nous demanda de prendre place, car il désirait nous relater son histoire.
« J’ai été jadis dit-il, un Juif pieux et d’obédience ‘hassidique comme vous. Mes parents étaient des ‘Hassidim qui habitaient une petite bourgade juive de Pologne. Mon père portait un Shtreimel et ma mère était une sainte femme. J’ai étudié au ‘heder et je me souviens du Rebbe, de l’ambiance ‘hassidique, des chants, du Chabbat, de Pourim, de ‘Hanouccah, de Roch Hachanah et de Yom Kippour. J’ai vécu en ‘Hassid et j’ai même épousé une jeune fille ‘hassidique avec laquelle j’ai bâti un foyer. Lorsque la guerre s’est abattue sur nous, mes parents, mes frères, mes sœurs et toute ma petite famille ont été brûlés à Auschwitz et ce maudit Hitler n’en a pas laissé survivre un seul de tous ceux que j’aimais.
Unique survivant de toute ma famille, j’ai déployé beaucoup d’efforts pour venir m’établir ici en Amérique. Comme de nombreux autres rescapés polonais et hongrois de la Shoah, je suis venu habiter dans le quartier de Williamsburg, à Brooklyn. Et cependant, je ne pouvais pas supporter les gens qui m’environnaient. Je me mis à haïr D.ieu, les Juifs, la Torah et tout ce qui avait rapport au Judaïsme. Je ne pouvais souffrir la vision de ces Juifs américains qui piquaient hardiment leur fourchette dans des escalopes de poulet et qui engloutissaient des verres de vin dans de joyeuses agapes familiales, alors que j’avais devant les yeux plus de trois millions de Juifs polonais emmenés à l’abattoir pour y être assassinés et brûlés. Je les haïssais…
J’ai alors décidé d’aller habiter le plus loin possible de Brooklyn ; le plus loin possible des Juifs et du Judaïsme. J’ai donc abouti à Jacksonville, j’ai épousé une femme non juive dont j’ai eu trois enfants. Et le grand escogriffe (ce furent ses propres mots) que vous avez vu derrière le comptoir est l’un d’eux.
Une nuit, c’était au début des années 80, je n’arrivai pas à dormir. Il était environ 23h30 et impossible de fermer l’œil. Alors, comme l’américain typique, j’ai allumé la télévision et j’ai navigué entre les chaînes afin de trouver quelque chose d’intéressant à regarder…
Soudain au cours de ma recherche, apparut sur l’écran un homme âgé au visage rayonnant, avec une barbe blanche et coiffé d’un chapeau noir, qui s’exprimait en Yiddish. Une langue que je comprenais évidemment… Au bas de l’écran, une bande-annonce indiquait « le Rabbi de Loubavitch prend la parole devant ses ‘Hassidim à Brooklyn, New York ».
Je me suis rapproché de l’écran. À un moment le Rabbi dit ceci : Le prophète Isaïe dit : « Quant à vous, vous serez recueillis un par un, enfants d’Israël » et Rachi le commentateur de la Bible écrit : C’est D.ieu qui, Lui-même, prendra véritablement par la main chaque personne à l’endroit même où elle se trouve et l’emmènera avec tous les enfants d’Israël. Autrement dit, en « une seule et même communauté », pour lui faire quitter l’exil.
En un instant ils seront délivrés par la rédemption véritable et complète. « Le Rabbi poursuivit par la question suivante : Mais qu’est-on censé apprendre des paroles du prophète ? Il va sans dire que lors de la Rédemption le peuple Juif sera tout entier rassemblé. Aussi, quel message cette prophétie est-elle censée nous livrer ? ».
Le Rabbi expliqua : « Il peut arriver qu’un Juif, qui porte en lui cette âme Juive si particulière, un Juif qui était lui aussi présent lors de la révélation au Mont Sinaï, puisse imaginer qu’il s’est définitivement enfui de sa tradition et que plus rien ne le lie désormais au peuple élu dont il est issu. Il se sent entièrement défait moralement et intellectuellement du peuple Juif. Aussi le prophète vient affirmer qu’en réalité un tel Juif nourrit lui aussi une nostalgie de ces racines. Et c’est de lui que le prophète parle en affirmant que « D.ieu en personne prendra véritablement par la main chaque personne à l’endroit même où elle se trouve » ceci afin que nul Juif éloigné ne demeure banni ».
L’homme poursuivit : « Je fus alors en proie à un grand désarroi et n’en fermai pas l’œil de la nuit. Je me dis : Comment se peut-il qu’un Juif qui demeure à Brooklyn sache ce que je vis, moi, ici dans ce coin perdu de Jacksonville ? Qui lui a révélé que je me lèverai en pleine nuit et que je me mettrais à naviguer à travers les chaînes de télévision ? »
Le lendemain à la première heure, j’ai réuni ma femme et mes enfants et je leur ai tout raconté. Je leur ai dit que j’étais juif. L’ayant toujours ignoré, ils m’ont regardé comme un extra-terrestre.
Je leur ai raconté mon parcours depuis le début. Je leur ai parlé du Chabbat, des fêtes Juives, des chants, du monde ‘hassidique dans lequel j’avais grandi. Je leur ai dit que mon nom n’était pas Jack, mais ‘Haïm-Yankel. Mes enfants en restèrent consternés et comprirent qu’ils vivaient là une situation assez particulière. J’ai même ajouté : « Mais tout cela n’est pas votre problème. Ce problème est le mien. Je suis le seul Juif ici et vous, vous ne l’êtes pas, et lorsqu’on viendra me chercher, c’est moi seul que l’on emmènera et pas vous… ».
Aussi, poursuivit-il, lorsque vous vous êtes présentés tout à l’heure au comptoir, mon fils, en voyant votre mise, a immédiatement fait le lien avec ce que j’avais raconté de mon enfance ‘hassidique. Il vous a demandé d’attendre et il est venu me voir pour me dire : “Papa, ils sont venus pour t’emmener…” ». Ce récit nous laissa pétrifiés.
Nous décidâmes alors de modifier le programme de notre périple. Nous demeurâmes quelques jours dans ce coin perdu, durant lesquels nombre de repas et de conversations furent partagés avec cet homme qui venait de retrouver son univers et avec lequel nous forgeâmes des liens d’amitié. Durant ces quelques jours, nous apposâmes des Mezouzot aux portes de sa maison et nous convînmes avec lui de demeurer en contact téléphonique et de le rencontrer à nouveau.
Quelques mois se passèrent après que ce Juif eut décidé de revenir à ses sources. Un jour, je reçus un appel téléphonique de lui. Il me dit ceci : « Rav Lipskar, j’ai conscience de ne pas être redevenu un Juif aussi accompli que l’étaient mes parents, mes frères et mes sœurs. Cependant, je sais que j’y ai aspiré. J’en ai accompli autant que j’en avais la possibilité. Ce que j’ai pu, je l’ai fait. J’en suis heureux et je vous en suis reconnaissant… ». (Retrouvez des histoires époustouflantes et actuelles dans le livre « Le Point sur la Guéoula ». A commandez sur viveleroi770@gmail.com)